Ebony wing, ivory fur [Privé avec Elianah.]

Un son grave retentit. Rythmé, lourd, triste. Ou joyeux. Jamais je n'avais su faire la différence entre les différents chants des cloches. Jamais je n'avais su dire si c'était un mariage ou une cérémonie d'enterrement qui se passait sous mes pieds. Et eux, au dessus de leurs têtes, ne devaient pas se douter qu'un homme, un hybride, y vivait. Sous ce clocher silencieux, d'ou l'on pouvait voir absolument toute la ville ainsi que ce qui s'y passait, et qui nous étaient réservé, à moi, aux corbeaux, et aux cloches désormais automatisées. Enfin, sans doute, ce n'était pas le genre de choses qu'on m'avait apprise.

Le son finit de résonner dans les rues plus ou moins vivante selon qu'elles étaient plus ou moins commerçantes. Huit heures. Les gens commençaient à rentrer, et j'entendais leur murmures monter avec l'obscurité. La chaleur de la journée commença à s'estomper. Au loin, la brume s'approchait, s'échappant des marécages. Vraiment, le clocher était pour moi un endroit divin. Quelques personnes levèrent le nez vers mon clocher, en le pointant du doigt. Evidemment, même si je ne sortais que de nuit si je voulais me dégourdir les ailes, certains avaient dû me remarquer. D'où l'intérêt d'être un hybride "nomade". Ou du moins pas sédentaire.

Un beau mois d'Octobre s'annonçait. Je souriais déjà à l'idée de voir les enfants sortir déguisés le soir du 31 pour demander de ces étranges choses sucrées, ces "bonbons", à n'importe qui les croiserait. Curieusement, à n'importe qui sauf moi. En même temps, dans le genre avenant, on avait déjà vu mieux que ma personne. Mais leurs yeux terrifiés plongés dans les miens, et aussi quelque part intrigués par cet iris doré brillant qu'ils arboraient, me plaisaient tant...

J'attendis que la nuit se montre enfin plus ou moins, que le ciel bleuisse un peu et que la nuit chasse la fin de soirée. Franchement, si ces idiots n'avaient pas foiré ma transformation, j'aurais pu sortir pendant la journée sans problème. Quoique je n'aurais pas pu m'évader. Enfin peut-être que j'aurais vraiment été mi-homme mi-corbeau, et donc que j'aurais hérité d'une intelligence d'oiseau. Je ne savais pas si, comparé aux autres changeurs, j'avais eu de la chance ou pas. On m'avait parlé de lycanthropes, des semi-vampires, de dragons, même, et d'hommes-félins, mais je n'avais jamais eu l'occasion de rencontrer un autre homme-corbeau.

Je déplaçait la planche de contreplaqué qui servait à fermer l'unique fenêtre assez grande pour me laisser passer, et encore, sous forme humaine. Mais j'aimais ça, cette peur que la transformation ne fonctionne pas, que je n'arrive pas à voler, alors que j'étais bien conscient que ce qui est ancré dans ses gènes même ne peut se modifier. La preuve, une petite commande de la part de mon cerveau suffisait à déployer mes ailes et mes serres, à faire claquer mon bec.

La vieille ville, de nuit, était superbe. Enfin, de nuit, quelques personnes étaient encore dehors à cette heure-là, mais visiblement, la plupart n'étaient pas en état de remarquer l'oiseau noir qui planait au dessus d'eux. Justement, c'était ça que je cherchais. Des gens un peu abrutis pas diverses drogues, alcool en priorité. Ceux-là mettaient trop de temps à se rendre compte qu'une main habile s'était saisie du contenu de leur poche, et leur vision trouble les empêchait de me remarquer dans le noir.

Avec cette guerre froide, c'était la loi du plus fort, certes, mais aussi celle du plus fin. N'excellant pas plus dans l'un des deux catégories, j'avais eu l'occasion de créer celle du plus habile. Ce fut dans une ruelle avoisinant un bar de mauvaise renommée que je m'arrêtai. C'était bien mieux ainsi. Avoir un corps humain, des cheveux, un vrai visage et des membres utiles pour autre chose que pour se laisser porter dans les airs me plaisait. Et puis, ce serait louche si c'était un corbeau géant qui vous faisait les poches. J'avais beau ne pas être la lumière du siècle, je n'étais pas non plus un abruti.

Justement. Un groupe d'hommes ayant visiblement dépassé le seuil du taux d'alcool maximal autorisé dans le sang passa sous me nez, dans la grande artère perpendiculaire à ma ruelle. Enfin, artère. La rue principale de la vieille ville, simplement. Personne ne me remarqua du premier coup d'oeil. Une chasse simple et sans plaisir, mais très efficace. L'un d'eux poussa un grognement et commença à s'énerver en sentant qu'il n'avait plus rien d'autre qu'un paquet de cigarettes bas-de-gamme dans sa poche, et encore, puisqu'il lui en manquait une. Bilan de la chasse : Soixante euros, un briquet, une cigarette. Que demander de plus? Tant que la Fonda' ne me retrouvait pas...

Apercevant une de ces créatures du diable, un chat, au bout de la rue, et un chat noir en plus, je tournait pour une autre ruelle. Je n'avais nulle part où aller ce soir, mais je devais rester en ville jusqu'au soir suivant si je voulais pouvoir dépenser ce que je venais de gagner sans me faire remarquer à descendre de mon clocher.

Je marchai toujours. Je retirai le gant blanc de ma main droite, le gardant serré entre mes dents. L'évasion m'avait coûté chez en sang, et je ne l'avais remarqué qu'en m'écroulant quelques mètres après avoir pénétré dans le secteur le moins dangereux des environs du centre. une plaie parcourant ma paume, du bas du pouce au poignet, peut-être un peu infectée, se dessinait. La même que celle qui occupait l’extrémité de mon aile droite. Je guérirais tout seul. Je n'avais jamais eu besoin de soins, les animaux ne meurent pas si facilement que les hommes de la gangrène, il en va de même pour les hybrides.

Je m'adossai à un mur. Le temps passa encore un peu, neuf coups graves firent vibrer le métal des cloches, répandant leur timbre dans toute la ville et rendant l’atmosphère plus lourde encore. Comme un requiem qui n'aurait été destiné à personne. Sur le trottoir, une personne passa. Je l'avait entendue malgré mon ouïe de piaf, ce devait être quelqu'un de peu discret. Tant qu'à faire... Je m'approchai doucement dans la pénombre. Je fis en sorte de percuter son épaule, et, dans un même geste, d'en profiter pour voir s'il n'y avait rien d'intéressant à prendre. Un portefeuille classique. Tant mieux, c'était plus simple à porter que plusieurs billets en vrac. Je pris quand même la peine de demander pardon pour la bousculade.

"-Hm. S'cusez."

Trop aimable, hein? Bref. J'avais donc en main encore un peu plus d'argent, peut-être enfin de quoi m'acheter de nouveaux vêtements, parce que ma pauvre chemise, à force, n'était plus vraiment blanche. Bien. J'esquissait désormais un léger sourire. Je repris ma marche sans même me rendre compte du regard que l'on me jetait...

Elle m'avait repris son bien. Et? Et rien, c'est tout. Pour le peu, visiblement, que j'aurais gagné... Remarque, peut-être qu'il ne s'y trouvait que des billets. Enfin, tant pis. Eviter de s'énerver était de mise, elle avait beau avoir approximativement une tête de moins que moi, elle devait bien peser un tiers plus lourd. Le genre de personne à te mettre à terre en un coup de pieds et à te torturer pour que tu t'excuses, par simple question d'honneur. Je m'étais arrêté, de profil et à moitié dans l'obscurité que j'aimais tant, quand elle mentionna le mot "semblable". Que je n'avais pas l'odorat assez développé pour le remarquer.

"-Les corbeaux ne sont pas réputés doués d'excellents sens."

Elle devrait bien comprendre à quelle race j'appartenais.

"-Confisqué." Fit-elle en souriant. Sourire que je ne lui rendis surtout pas. J'avais un don pour faire des rencontres bizarres, ma parole. Et j'avais beau être armé, comme beaucoup d'évadés, faire feu inutilement sur quelqu'un comme elle me semblait inutile. Les hybrides sont des humains, après tout, une balle bien placée et c'en est fini d'eux. Combien en avais-je vu mourir de la sorte? Combien en avais-je traîné hors du terrain de combats? J'avais arrêté de les compter quand ils dépassèrent la trentaine.

Je devais encore avoir l'air d'une tête à claque ou je ne sais quoi. On me réputait pénible ou trop peu présent en fonction de qui parlait. Peu à peu, mon regard se perdit comme souvent dans le vague. Je ne craignais pas du tout cette fille en face de moi, alors qu'elle aurait fait peur à n'importe qui. Peut-être à cause des horreurs que j'avais vécues dans le Centre. Elle laissait même voir qu'elle ne me voulait rien de mal. Encore heureux.

"-Vous êtes une évadée, vous aussi... Combien d'hybrides se sont échappés la dernière fois?" Dis-je pour meubler un peu le silence qui tentait de s'installer. Ca, je n'en étais pas peu fier. Avoir permis avec un autre semblable à des dizaines de bêtes de sortir, cela me plaisait bien. Un coup dur pour la Fondation, une épine dans son pied. Cela m'arracha difficilement un de mes rares sourires. Le visage des gardiens empourpré, les vitres brisées, le sol et les murs rouges d'un sang qui n'était pas le notre... Une nuit sublime.

Je m'adossai contre le mur de pierres apparentes. Les lumières allaient sans doute s'éteindre d'ici peu, à mon plus grand bonheur, que je puisse me sortir de cette situation rapidement. Ou peut-être pas, après tout. Cela ne me tentait pas plus que ça. Mon toit ne me manquait qu'à moitié. Je cherchai dans ma poche et en sortis la cigarette. Je l'allumai tranquillement, me demandant toujours pourquoi l'autre me toisait comme si j'avais du persil dans le nez. Ce devait être un hybride dit "classique", un hybride de félin. Sans doute bien plus utile que l'oiseau. Quoi qu'un félin ne vole pas, que je sache, ce qui me conférais un bel avantage en cas de pépin. A en juger par la couleur de ses cheveux, elle devait avoir une fourrure blanche, et à voir sa carrure, une taille imposante. Sans doute supérieure à celle de mon corbeau.

On m'avait parlé de plusieurs hybrides, mais apparemment, soit je ne m'en souvenais plus, soit on avait omis celui-ci. Je me redressai. Je n'allais pas rester toute la soirée ici, je sentais quelque chose de bizarre dans l'ambiance.

"-Si vous ne portez pas plainte, alors je ne vais pas m'attarder ici. La lumière est trop présente, alors que je sors la nuit pour le plaisir de marcher dans l'ombre..."

Je passai totalement dans le cône de lumière du réverbère et la saluai. Je fis volte-face. La brume investissait la ville, masquant les étoiles. Octobre était là. Il arrivait dans quelques heures. La grande horloge plongée dans l'obscurité marquait environ onze heures quarante. J'avais tellement hâte de pénétrer dans ce nouveau mois...

J'écrasai ma cigarette contre un pauvre mur qui n'avait rien demandé. J'avais, en fait, presque fui l'autre hybride. Mais bon, tant pis...

Quoi. Elle me poursuivait encore? Si elle pensait que je ne l'avais pas remarquée. J'avais beau être un corbeau, je n'étais pas non plus dénué de sens. Je lui avais rendu son bien, sans manières ni rien de déplaisant. Et puis, je devais être bruyant pour qu'elle me repère comme ça, aussi facilement. Les Lions ne sont pas des animaux de nuit que je sache. Quoique que celui-ci avait bien quelques caractéristiques particulières, un dard au bout le la queue par exemple. Ce qui, en soit, paraissait complètement impossible. La Fondation révolutionnait la génétique à faire des croisements de plusieurs espèces.

Arrivant à un croisement, je tournai, et sentis encore sa présence derrière moi. Je me préparai déjà à me retourner rapidement et à lui lancer quelque chose, n'importe quoi qui me passerait sous la main, pour qu'elle arrête ça. Mais minuit m'arrêta. L'instant où les cloches n'osent plus sonner, où seule la vue des deux aiguilles superposées permettait de connaître l'heure. Minuit. Le premier Octobre. La fin véritable de l’Été. Je restai le nez en l'air à attendre, cinq minutes environ, contemplant le cadran gigantesque du clocher. Les corbeaux ne braillaient plus, sans doute qu'ils s'étaient endormis sans m'attendre.

Mon regard redescendit vers cette ombre blanche. Elle ne devait pas avoir remarqué ma nyctalopie. Ou alors, le but était de se faire remarquer indirectement. Dans les deux cas, ça m'agaçait. Au plus haut point. Je rabattis mon chapeau en avant et pris un grand appui sur le sol, me permettant de déployer mes ailes et mes serres sans me vautrer par terre. Je tournai vivement la tête vers l'autre lionne. Elle semblait ne pas maîtriser sa transformation au même point que moi. Des lambeaux de tissu la couvraient par endroits. Ce devait être plutôt embêtant d'avoir à changer de vêtements à chaque fois.

Un battement d'ailes suffit à me porter sur le toit d'une des vieilles maisons avoisinantes. Mais là, au moins, l'autre ne me suivrait surement pas. Enfin, vu sa taille, et donc son poids, elle ne se risquerait pas à fracasser le toit d'une maison pour la joie de me poursuivre.

"-Et vous qui me qualifiiez d'indiscret... Qu'est-ce que vous me voulez...? Je... Vous ai rendu votre argent..."

Ce devait être étrange qu'un corbeau vienne nous parler, mais bon. Je claquai machinalement du bec en marchant sur les toits. De temps en temps, j'entendais que quelqu'un s'énervait contre le bruit causé par ma personne, mais mon ouïe n'était pas assez fine pour me permettre de distinguer les consonnes des voyelles.

C'était une situation bien étrange. Les lumières de la ville étaient éteintes, enfin, à mon plus grand bonheur. L'autre me toisait de ses grands yeux verts. C'en était presque intimidant, alors que je me trouvais à une hauteur supérieure à la sienne. Enfin, elle devait penser la même chose, on m'avait souvent reproché que je faisais presque peur.

J'étais prêt à fuir si jamais elle me voulait quelque chose. Et puis elle ne pourrait rien y faire. je fais ce que je veux, après tout.

Hé bien. Une belle soirée, tiens. C'était une originale, celle-là, à essayer de me faire tomber ou je ne sais quoi de ses grosses pattes blanches. Mon air dut se faire plus consterné que jamais. Non mais elle croyait avoir une chance de me faire tomber de mon toit. Alors que je sais voler. Remarque, l'espoir fait vivre. Je me préparai à la virer d'un grand coup d'aile gauche quand elle tomba d'elle-même sur le sol. Peut-être qu'elle avait enfin compris l’inutilité du geste.

Elle semblait un peu dérangée, comme instable, couchée sur le côté. Les yeux fixant le mur, la respiration lente. Tous les symptômes d'un hybride qui perd le contrôle de lui-même. Sauf que si jamais ça lui arrivait, je savais très bien dans quelle situation on allait tomber. Ils étaient rares, mais quelques hybrides se trouvaient être dans le même cas qu'elle à la Fondation.

Je courbais le dos. elle ne bougeait toujours pas, et cela commençait à m'inquiéter plus ou moins. Quelques plumes noires lui étaient tombées dessus, elle n'avait pas eu le courage de les enlever.

"-Hey? Tu perds le contrôle? "

A cette question, j'eus une réponse plutôt claire. elle était en effet tellement instable qu'une simple contraction de tous ses muscles suffit pour qu'elle redevienne la curieuse humaine de tout à l'heure. Même sous ma forme secondaire, je ne pus m'empêcher de pouffer légèrement. Elle releva les yeux vers moi, qui retenais vraiment un beau fou rire.

"-Mais... Mais quelle...!"
Réussis-je à articuler. Ce furent les seuls mots qui me vinrent à la bouche. La suite se devinerais facilement, mais j'évitais de parler de la sorte à des inconnus. L'autre n'avais par l'air de savoir où se mettre. Elle semblait presque perdue. Elle me jeta un sale regard, comme si je devais craindre son courroux ou un truc dans le genre.

Voyant que tout danger de me faire happer par le Lion était éloigné, je redevins humain pour m'asseoir sur le rebord du toit. J'avais réussi l'exploit de ne pas lâcher de vacherie à son égard, et même de calmer le fou rire qui montait en moi. Je balançai mes pieds dans le vide. Je finis, dans ma grande bonté, par retirer mon manteau et par le lui lancer au visage.

"-Ça t'ira moins bien qu'à moi, mais fais avec. Je n'vais pas laisser un semblable se couvrir de honte et mourir de froid dans la rue. Même si ce n'est pas interdit d'apprendre à se contrôler en présence d'un homme."

Raah, il fallait que ça sorte. J'avais tellement envie de la titiller, maintenant. Dans tous les cas, cet "incident" avait suffi à me mettre en confiance, alors que je lui aurais volontiers mis une balle dans le thorax auparavant si elle s'était trop approchée de moi. La Lune me tapais en plein visage, mais la lumière était moins agressive que celle des réverbères. Un très, très léger sourire se dessina sur mes lèvres en repensant à sa tête lorsqu'elle avait perdu le contrôle.

"-Au fait, si ça t'intéresse. On m’appelle Raven. Et toi?"

A force qu'elle me fixe, j'avais fini par m'habituer. C'était juste rare que quelqu'un se refuse à décoller son regard du mien. Mais bon, comme elle semblait ne pas vouloir le faire, je portai mon attention ailleurs afin de ne plus me sentir épié. Les mains derrière la tête en guise d'oreiller, je m'étais allongé sur le toit en laissant toujours pendre mes pieds dans le vide. Le blanc durait toujours...

Vu son orientation, la dénommée Elianah ne devait pas voir que mon regard se dirigeait vers elle, aussi. Ou peut-être que si, remarque. C'était vraiment une fille originale. Sans doute pas une de ces pouffes qui en ont plus dans le corsage que dans la tête. Même si elle semblait manquer de pratique en matière de self-contrôle. Ou alors, je l'avais juste dérangée dans son calme. Enfin bon, autant de pistes à explorer que je n'exploiterais pas.

Je laissais mes yeux se tourner vers la ligne d'horizon. On ne m'avais jamais appris ce qu'il y avait derrière. Peut-être tout. Ou peut-être rien. Dans tous les cas, on avait du mal à la distinguer cette nuit-là, à cause du reflet de la lune dans les nappes de brume. Pour tout dire, je voyais à peine l'allure ridicule d'Elianah dans mon pauvre manteau. Elle aurai mieux fait de s'en servir comme couverture. Là, j'avais vraiment l'impression qu'il était vingt centimètres trop long pour elle, manches comprises... Et la couleur ne lui allait pas le moins du monde. Mal coupé, de mauvaise couleur, il avait vraiment tout pour plaire. Il n'allait décidément qu'à moi.

L'autre se décida à rompre le silence, ce qu'elle faisait déjà plutôt bien avec ses plaques en métal, aux symboles qui m'étaient vaguement connus, sans plus. Une connotation militaire. Vu ce que je connaissais de tout ça, me prononcer là-dessus, enfin, lancer une remarque ironique la dessus me semblerait déplacé.

"- Bon bha… Voilà, hein. Je pense que je vais rentrer…"

"-C'est quoi, cet air triste, là? Arrête ça, ça me fait presque peur."

Ça se voyait dans son regard, ça se sentait dans sa voix. Même si d'un autre côté, moi qui avais enfin trouvé une semblable à qui parler, qui plus est une semblable plus patiente qu'il n'y paraît avec mon sale caractère... Et ayant un air si atterré par sa dégaine actuelle, à moitié à poil sous mon pauvre manteau que j'hésitais maintenant à récupérer.

Bah, au pire, je m'en trouverais un autre, celui-là était plus que flingué. Vu ce qu'il avait vécu, d'un autre côté, ce n'était pas étonnant. Entre prise de tête lors de vols, accrochages, transformations plus ou moins réussies, les coutures avaient pas mal souffert et le tissu s'était bien abîmé. Ce manteau que j'avais pris sur l'un des types de la fondation dont les thorax avait été suffisamment amoché pour qu'il en perde la vie.

La brume s'était mis en tête de stagner à mi-hauteur, désormais. Le brume d'Automne. Demain allait être un beau jour pluvieux. Ces jours où personne ne sort, et par conséquent, où moi, je peux me montrer. L'odeur du goudron sous la pluie, de me cheveux trempés plaqué contre mon visage. J'adore ça plus que tout.

J'avais fini par totalement oublier la présence d'Elianah. Je me rassis vivement. Même si la politesse n'était pas mon fort, m'endormir alors que quelqu'un nous porte encore son attention, c'est un peu limite... Même si je n'étais pas parti pour m'endormir mais plutôt pour fixer l'absence d'étoiles.

"-Bref. Je vais te laisser, alors, avec ton air désolé. Juste une chose..."

Je me laissai tomber lourdement du haut du toit, et me rapprochai d'elle. S'il y avait une chose que je ne voulais pas qu'elle garde, c'était bien mes deux chers revolvers. Je fourrais ma main blessée, la droite, dans l'un des poches du grand manteau, pour en ressortir mes objets fétiches.

"-Sur ce."

Je levai le regard vers elle et la saluai d'un signe de tête. Puis simplement, je repartis vers mon cher clocher. Moi non plus, tout comme elle, je n'avais pas envie de partir. Mais puisqu'elle en avait formulé le souhait, je n'allais pas rester là juste pour l'embêter. Ce serait dommage de se faire détester par la seule hybride qui me plaise bien...